Bouger pour son cerveau

Article d’Eric Jensen tiré de la revue « Educational Leadership » de Novembre 2000

Bouger pour son cerveau

Les recherches sur le cerveau confirment que les activités physiques telles que bouger, marcher, peuvent véritablement renforcer les processus d’apprentissage.

Quel est le rôle du mouvement dans l’apprentissage ? Pourquoi les élèves devraient pouvoir se lever et se déplacer ? Une des raisons principales pour laquelle beaucoup d’élèves trouvent l’école ennuyeuse réside dans le nombre d’heures passées en position assise, exigé par les enseignants et les éducateurs, que ce soit à l’école primaire, au collège ou au lycée. Mais l’ennui est un moindre mal : le gros problème touche l’apprentissage.

Bouger

Bien que beaucoup d’écoles augmentent le temps de sédentarité pour la préparation aux examens, la plupart des recherches montrent que l’activité est bénéfique pour les élèves. Voici sept bonnes raisons de demander aux élèves de bouger plus pour apprendre mieux.

Circulation. Le mouvement augmente les battements du coeur et la circulation sanguine, ce qui améliore souvent les performances (Tomporowski & Ellis, 1986). Les étirements sont particulièrement efficaces lorsque les élèves commencent leur journée de classe en position assise. S’étirer augmente la circulation du liquide céphalo-rachidien vers les aires cérébrales importantes. Ces zones sont mieux oxygénées, les yeux peuvent se détendre un moment, ce qui empêche les tensions oculaires, et le corps peut relâcher les tensions musculaires (Henning, Jacques, Kissel & Sullivan, 1997). En augmentant l’éveil physique (avec une circulation sanguine augmentée de 5 à 8 %) on peut fixer notre attention sur des tâches bien précises (Easterbrook, 1959).

L’encodage épisodique. Le mouvement donne aux élèves des références spatiales différentes dans la pièce où ils travaillent. Des études menées sur des animaux montrent que l’activité renforce l’apprentissage spatial (Fordyce & Wehner, 1993).

Comment ? Le cerveau forme des « cartes », pas uniquement à partir de l’environnement, mais aussi à partir des liens entre le corps et cet environnement. La diversité des repères procure un milieu d’apprentissage incomparable. L’environnement n’a pas besoin d’être renouvelé, c’est juste votre position dans la pièce qui doit changer (Rizzolatti, Fadiga, Fogassi, Gallese, 1997). Pendant mes séminaires en entreprise, si je travaille avec un groupe sur une seule journée, je leur demande de changer de place dans la salle après déjeuner.

Une pause dans l’apprentissage. Nos cerveaux sont faits pour recevoir une courte « salve » d’informations suivie d’une courte période pour traiter cette information. Nous avons besoin de temps pour la mémoriser et pour « l’intégrer ». Les données factuelles issues de la recherche donnent à penser qu’il est très important de passer du temps à ne pas apprendre (Pelligrini, Huberty & Jones, 1995). Le cerveau humain ne peut enregistrer une quantité infinie d’informations explicites. La plupart des éducateurs sont sous la pression de boucler des programmes de plus en plus lourds dans le temps qui leur est imparti, ce qui est une grave erreur. Vous pouvez verser toute l’eau que vous voulez d’un pichet dans un verre, mais le verre ne pourra en contenir qu’une quantité limitée.

La station-relais où est traitée l’information avant qu’elle ne soit stockée s’appelle l’hippocampe. C’est une petite structure en forme de croissant, qui apprend vite mais dont la capacité-mémoire est limitée ( Spitzer, 1997). L’hippocampe organise, trie, et traite les informations entrantes avant de les envoyer dans les différentes aires du cortex pour les mémoriser à long terme. Si on surcharge cette structure, aucun apprentissage nouveau ne pourra se faire.

Bouger est l’occasion de procurer aux élèves cette pause indispensable. Dans les écoles japonaises et taïwanaises, des pauses permettent aux élèves d’être à l’école toute la journée tout en étant capables de continuer à apprendre. Les enfants asiatiques passent en réalité moins de temps à recevoir de nouvelles informations que leurs homologues de Minneapolis (Stevenson & Lee, 1990). On peut attribuer cela aux périodes de jeu, de repos ou de pauses qui y sont très réglementées.

La maturation du cerveau. Lorsque nous grandissons, nos cerveaux évoluent et grandissent aussi. Le cerveau d’un élève connaît l’élimination de synapses existantes, la croissance de nouvelles cellules cérébrales, et la myélinisation (renforcement de voies neurales déjà existantes). Dans certaines aires, la taille du tissu neural peut même doubler, tandis que d’autres aires vont s’atrophier. Ces modifications importantes requièrent des pauses nécessaires à une bonne redistribution cognitive. Le système nerveux n’est pas mature avant l’âge de quinze ou vingt ans. S’il est une chose qu’il est nécessaire d’augmenter et non de diminuer, c’est bien le nombre de pauses. Le professeur de psychologie David Bjorklund dit : «Ce sont les petits enfants qui ont le plus besoin de faire des pauses dans leur journée de travail en position assise » (Bjorklund & Brown, 1998).

Les bonnes substances chimiques. Certains mouvements peuvent augmenter la sécrétion de stimulants naturels dans le corps. Deux d’entre les plus importants sont la noradrénaline (l’hormone du risque ou de l’urgence) et la dopamine (le neurotransmetteur qui procure des sensations agréables). La noradrénaline peut être sécrétée lors de courses de relais, pendant un discours, lors de grands défis réalisables, de compétitions ou d’activités socialement risquées. La dopamine peut être sécrétée grâce à un lien social positif, lors de cérémonies, de récompenses non matérielles, ou par des mouvements répétitifs dans le domaine du développement moteur global. Ces stimulants réveillent les apprenants, augmentent leur niveau d’énergie, améliorent le stockage et la récupération d’informations, et les aident à se sentir bien. Une très courte pause ou un énergisant augmentent la vigilance, tandis qu’une pause plus longue va non seulement procurer à l’apprenant une meilleure vigilance mais aussi lui permettre de récupérer un niveau d’énergie plus durable.

Trop de position assise. Bien qu’on puisse étudier en étant assis, le concept même de position assise sur une chaise pendant des heures est, semble-t-il, peu judicieux. Le corps humain a passé 400 000 ans à marcher, courir, dormir, se pencher, s’accroupir, à faire. Il ne s’asseyait pas sur une chaise – invention relativement nouvelle dans l’histoire de l’humanité, utilisée depuis seulement les 500 dernières générations. L’élève typique qui passe la plupart de sa journée assis, encourt les risques suivants : mauvaise respiration, tensions dans la colonne vertébrale et dans les lombaires, mauvaise vision, et surtout fatigue corporelle. Nous dépensons beaucoup d’énergie dans le simple fait de maintenir une posture même si elle est mauvaise.

Rester assis pendant plus de 10 minutes d’affilée est susceptible d’avoir des répercussions physiques négatives, par conséquent des répercussions négatives aussi sur le mental, et de toute façon réduire notre connexion à nos sensations physiques et émotionnelles (Cranz, 1998).

La pression exercée sur les vertèbres augmente de 30% en position assise par rapport à une position debout (Zacharkow, 1988). Cela entraîne de la fatigue, ce qui n’est pas bon pour l’apprentissage. Les élèves peuvent paraître fatigués et incapables de se concentrer, voire, devenir indisciplinés, alors que le problème de fond réside dans une ergonomie inadaptée et un manque de mouvement. L’employé de bureau typique assis sur sa chaise, rencontre plus de troubles musculo squelettiques que n’importe quel autre employé du secteur de l’industrie, y compris dans la construction, l’industrie métallurgique, ou les employés des transports. Les employés de bureau passent à peu près autant de temps en position assise que la plupart des élèves. L’une des conclusions des chercheurs est que la position assise est une activité qui présente autant de risques que celle qui consiste à porter des charges lourdes (Hettinger, 1985).[Lorsqu’on pense qu’un élève de sixième porte un cartable qui pèse en moyenne 10kg (soit 26% de son poids), nos petits écoliers français cumulent les risques et remportent tristement la palme….]NDT

On sait que les chaises n’offrent pas suffisamment de flexibilité pour optimiser l’apprentissage (Tittel & Webber, 1973). Mais ceci n’est pas nouveau. Déjà en 1912, Maria Montessori décrivait les conséquences de la position assise : « lorsqu’on utilisait des chaises, les enfants n’étaient pas disciplinés mais annihilés » (Montessori, 1986,p.797). De plus, la vision de loin des enfants n’est pas aussi développée que celle des adultes. Par conséquent, ils compensent en se penchant excessivement, arrondissent leur dos, ce qui génère des tensions. En général, une mauvaise posture assise exerce une pression sur le diaphragme et sur les organes internes. Cela amoindrit les fonctions de ces organes, réduit la circulation sanguine et l’apport d’oxygène au cerveau, et augmente la fatigue (Grimsrud, 1990). Le directeur de l’Institut pour la Santé au Travail de Milan, Italie, atteste : « Rester dans n’importe quelle posture pendant de longues périodes est le vrai problème ; mais se tenir assis à angle droit génère des stress bien spécifiques, qu’aucun ajustement ergonomique ne pourra éliminer ». (Greico, 1986)

L’importance de l’apprentissage implicite. Notre apprentissage sémantique, explicite, est celui que nous utilisons en lisant cet article. Notre apprentissage épisodique et explicite est constitué des souvenirs liés au lieu et au moment où nous lisons cet article, souvenirs que nous allons stocker, sur ce qui nous entoure et les personnes avec lesquelles nous en discutons. Le système explicite travaille en rassemblant les informations selon deux critères : ce que c’est (sémantique) et où ça se passe (épisodique).

Le système implicite, par contre, travaille en organisant nos réactions par rapport à notre environnement. Cela comprend les comment ou les réactions impulsives, telles que les émotions immédiates, les réflexes conditionnés, les traumatismes et les comportements automatiques, mais aussi les réactions plus quantifiables du traitement de l’information, fondées sur les compétences, le mode opératoire et plus manuelles. S’il est pratique d’établir une distinction entre les types d’apprentissages explicite et implicite, il n’y a en réalité pas de limite absolue entre eux. Les deux systèmes travaillent ensemble, ils reçoivent les informations provenant de notre environnement, puis organisent nos réactions. La plupart du temps, nous utilisons le schéma d’apprentissage sémantique lorsque nous travaillons assis et le schéma d’apprentissage implicite pour l’apprentissage du mouvement et le développement de nos compétences, souvent requis en cours de sport ou en cours d’arts plastiques.

Nous sommes plus susceptibles de nous rappeler d’un apprentissage implicite. Il est solide, facile à apprendre, interculturel, et efficace, quel que soit notre âge ou notre niveau d’intelligence (Reber, 1993).

Des suggestions pour la classe

Les enseignants devraient proposer aux élèves une plus grande variété de mouvements, y compris marcher, s’allonger, bouger, s’appuyer contre un mur ou un bureau, grimper sur une chaise ou même s’accroupir. Un bureau incliné est moins fatigant (meilleure concentration) et génère moins de tensions dans les yeux (meilleure lecture). L’enregistrement des douleurs par électromyogramme montre moins d’activité dans le bas du dos chez les élèves qui travaillent sur des surfaces inclinées que chez les élèves qui travaillent sur des surfaces planes (Eastman & Kamon, 1976).

Les enseignants devraient proposer de bouger régulièrement à leurs élèves. « Il est établi que l’exercice est le meilleur régulateur d’humeur qui soit » (Thayer, 1996). Les enseignants d’élèves de tous âges qui restent assis trop longtemps loupent le coche. Le simple fait de leur proposer de courtes marches est un moyen pour les enseignants d’infléchir les humeurs de leurs élèves.

Howard Gardner écrit : « Je crois en l’action et en l’activité. Le cerveau apprend et retient mieux quand l’organisme est activement impliqué dans l’exploration physique de l’environnement ou dans la manipulation du matériel, et dans le questionnement pour lequel il est vraiment avide de réponses. Des expériences simplement passives ont tendance à atténuer l’apprentissage et ont un impact qui ne dure guère. » (Gardner, 1999)

Les élèves peuvent utiliser leur corps pour apprendre. Ils peuvent se lever et illustrer des concepts, tels que grand ou petit, long ou court, rapide ou lent. Ils peuvent s’amuser beaucoup plus pour illustrer des mots tels que ramper, rouler, surprise… Parler en rythme, frapper dans les mains, reproduire des séquences rythmées peuvent rendre les cours bien plus amusants.

Des jeux de rôle organisés chaque jour ou chaque semaine sont excellents pour la motivation. Faites des charades avec les élèves pour réviser les idées principales ou pour mettre en scène un thème bien précis. Inventez des pubs inspirées de spots télévisés pour annoncer la leçon suivante ou pour réviser une leçon passée.

La diversité des activités physiques peut aussi aider les élèves à apprendre. Utilisez le corps pour mesurer les objets dans la pièce : « Cette armoire mesure 44 poings de large ». Jouez à « Jacques a dit » : « Jacques a dit de montrer le sud. Jacques a dit de montrer cinq sources différentes d’informations dans la pièce ». Faites des cartes heuristiques géantes. « Levez-vous et touchez sept couleurs dans la pièce sur sept objets différents. » Établissez un système de circuit en utilisant des mots-clés à mémoriser : « Place-toi à l’endroit où nous avons étudié pour la première fois le ……….. »

Des activités croisées pour les bras et les jambes forcent les deux hémisphères à communiquer. « La main gauche touche l’épaule droite » ou « une main tape sur la tête et l’autre tourne sur le ventre ». Ces activités comprennent également la marche sur place en touchant le genou ou l’épaule opposés, en touchant le coude ou le talon opposés.

Et s’il n’y a qu’une chose à faire, ménager une pause toutes les vingt minutes pour se lever et s’étirer peut redonner de l’énergie à la classe. Avant de commencer la journée, ou à chaque fois que la classe a besoin de plus d’oxygène, que chacun se lève et fasse des étirements lents. Demandez à des élèves de guider un groupe ou laissez chaque groupe effectuer les étirements de son choix en alternant les chefs d’équipe.

Restez actif

Le message est simple : l’apprentissage actif présente de nombreux avantages sur l’apprentissage sédentaire. Il est pérenne, plus solide, plus agréable, approprié à tout âge, indépendant de l’intelligence et accessible à toutes sortes d’apprenants. L’apprentissage actif n’est pas réservé aux professeurs d’éducation physique. Cette notion est obsolète. L’apprentissage actif s’adresse aux éducateurs qui comprennent les processus scientifiques inhérents à l’intégration de l’information. Ne craignons plus par conséquent de proposer l’alternance de position assise et de mouvements.

Eric Jensen est Formateur en Ressources Humaines et l’auteur de Teaching with the Brain in Mind (ASCD,1998) et de Learning with the Body in Mind (The Brain Store, 2000). Son livre sur l’art et le cerveau est annoncé pour le printemps 2001. Il est joignable à eric@jlcbrain.com.